ELLE
22 mai 2023

LA QUESTION DE LA SEMAINE : L’OBÉSITÉ EST-ELLE UNE MALADIE DE LA DÉPENDANCE AFFECTIVE ? 
Les obèses ne sont pas tous des « bons vivants » ! Ce cliché a la peau dure, même s’il ne correspond à aucune réalité. 

Ce n’est pas le fait de craquer un peu trop souvent devant une entrecôte, de reprendre des frites-mayo ou de s’autoriser un banana split au resto qui installe l’obésité . En se basant sur son expérience clinique, la psy explique que celles et ceux qui ont pris du poids dans le seul plaisir du bien manger sont rarissimes. Ils mangent moins par plaisir que pour combler une angoisse insondable et invivable, souvent liée à un passé difficile... C’est d’autant plus vrai que ces soi-disant « bons vivants » vivent de moins en moins bien au fur et à mesure que les kilos s’installent et que leur corps, à force de peser de plus en plus lourd, s’immobilise peu à peu. 

Pourquoi il s’agit de changer de regard ? 

Parce qu’être obèse n’est pas une identité. Une personne en surpoids ne se définit pas par le nombre de ses kilos ! Elle n’est pas non plus « un gros » ou « une grosse » atteinte par une pathologie physique, mais d’abord et avant tout, selon la psy, une personne souffrant de dépendance. À quoi ? À la nourriture et à la pulsion orale bien sûr, mais celles-ci s’accompagneraient dans la quasi- totalité des cas d’autres dépendances moins évidentes : à l’égard de quelqu’un (vivant ou mort), d’un événement toujours inacceptable, de violences physiques ou verbales, d’atteintes sexuelles. Ou bien encore une dépendance à une reconnaissance jamais accordée, un amour absent ou un amour asphyxiant. Toutes ses blessures affectives et émotionnelles étant ficelées par des récits, en général venus de la famille et de l’enfance, dans lesquels la personne s’est insensiblement enfermée. 

Pourquoi les régimes ne suffisent pas ? 

D’abord parce que tous les gens en surpoids savent, mieux que personne, ce qu’il conviendrait de faire d’un point de vue alimentaire pour maigrir. Moins de calories plus de sport, on connaît la chanson, l’équation n’est pas compliquée. Certains ont fait des régimes surhumains, et puis ils ont repris leurs kilos, jusqu’à désespérer de pouvoir changer. D’autres ont commencé à maigrir, puis ils ont paniqué : sans la couche de protection qui faisait de leur corps une forteresse, ils ne se reconnaissent plus, se sentent sans défense, trop vulnérables pour affronter la vie. 

Si changer passe nécessairement par un régime, celui-ci a peu de chance d’aboutir sans accompagnement psychologique : « Le traitement de l’obésité passe par leur capacité à nommer les injustices éprouvées, nommer le déni qu’elles ont subi, nommer les violences et les reconnaître comme telles alors qu’elles ont été banalisées, y compris par elles-mêmes, nommer les excès, se dégager d’une pseudo-fatalité », détaille la psy. Le changement est au bout du chemin, mais il en faut du courage... Ce livre donnera des clés précieuses aux personnes directement concernées. Il permettra aussi aux autres de changer leur regard, souvent dur et stigmatisant, sur les obèses, comme si ces personnes en souffrance étaient coupables de ce corps qui bien souvent leur fait honte. 

Qui est Claudine Hunault ? 

Psychanalyste, elle a suivi les patients d’un centre médico-chirurgical de l’obésité de la Clinique Paul Piquet à Sens (89) pendant dix ans, ce qui lui permet de raconter leurs histoires, mais aussi de comprendre comment et pourquoi la solution ne passe pas seulement par un régime ou une chirurgie gastrique. Il n’y a pas de remède miracle. Pour chacun et chacune, il s’agit de modifier en profondeur son rapport au monde, entre angoisse diffuse et peur du vide. Mais cette psy pas comme les autres a aussi un pied dans le monde artistique. 

Actrice, metteuse en scène de théâtre et d’opéra, écrivaine... Ses nombreuses expériences lui permettent de mettre en scène dans ce texte les mots des per- sonnes en surpoids qu’elle a si longtemps accompagné. On retrouve sa fantaisie dans le titre décalé de son texte pourtant grave, mais qui ne se prend pas au sérieux. L’humour est pour elle un remède utile pour éloigner les douleurs parfois trop vives. Elle le fait avec humanité et justesse, une liberté formelle et un respect infini, parfois sous forme de monologues, d’autre fois sous forme de poèmes... Non sans décortiquer en détail, dans des chapitres plus formels et très éclairants, son expertise psy sur la souffrance de ces addicts affectifs, noyés dans un corps qui les dépasse, les hante, et de temps en temps les ras- sure malgré tout. 

Extrait du livre : 

« J’ai souvent raconté à des patientes l’histoire de Peau d’Âne. La jeune princesse échappe au désir du père en se dissimulant sous la peau fraîchement ar- rachée de l’âne. L’association avec le manteau de graisse était immédiate. Arrive un jour où le père n’est plus là. Plus rien à craindre de lui. On garde le manteau de graisse. Pourquoi ? Il faut déplier les questions sur la dépendance que le parent a instaurée. La peur de cette dépendance. L’inéluctabilité ima- ginée de cette dépendance. Le dégoût. Le rejet. La peur d’en sortir. La tension qui en résulte. Qu’est-ce qu’on perdrait à la lâcher ? »