VINGT MINUTES DE SILENCE
D’après le roman poétique d’Hélène Bessette
Performance de Claudine Hunault et Cédric Jullion
Ce qui fait fiction dans les romans de Bessette est une chose prélevée sur la réalité. Hélène Bessette extrait de nos sentiments, nos émotions, nos sensations, des caractéristiques que nous connaissons, mais sur lesquelles nous faisons silence. Elles les relève, les exprime : les violences minuscules cachées dans les replis des actions les plus innocentes, les lambeaux d’humiliations qui traînent dans les paroles bienveillantes, les éclats de mépris dans les regards gentiment infantilisants, mais aussi les grandeurs timides qu’on retient sous une soi-disant médiocrité, les audaces qu’il suffirait de reconnaître.
Comment le fait-elle ?
Elle court-circuite la phrase, elle coupe le courant, reste dans le noir, voit ce qui se passe, rallume.
Un polar déjanté sur un parricide. Un fils tue son père. Est-on sûr qu’il est l’assassin ? Que faisait la mère ? Et d’ailleurs le père est-il vraiment mort ? Voilà l’intrigue de Vingt Minutes de silence. Qu’a fait la mère pendant ces vingt minutes ?
Le mort seul est vrai. Mais si je l’interroge, il ne répond pas, dit M. le commissaire.
Comment entrer dans un roman de Bessette sans passer par la page 1 ? Par où entrer ?
Notre point de départ c’est le récit du fils, la vision du fils, l’angoisse du fils. Notre point de départ c’est l’inavouable.
Nous prélevons dans le roman les paroles du fils portées par l’actrice vers le public. La rumeur, le harcèlement, la fausse enquête, la présence des proches et des moins proches et de tous ceux que l’odeur du cadavre attire, constituent la trame d’un ripieno baroque, ce choeur d’orchestre, chœur de la tragédie. La performance est la création en direct de ce dialogue entre l’actrice et le musicien-compositeur.
CÉDRIC JULLION
« La musique est élaborée à partir du rythme, de la vitesse et de la tonalité de la voix enregistrée. Ces mots sont la virtualité du texte, fragments de thèmes et de tournures qui ne sont plus dits en direct. Ils sont le paysage d'une mémoire constamment réactivée provoquant le jeu de scène ou s'y référant par imitation. Le piano, transformé ou non transformé, ainsi que la voix, sont amalgamés aléatoirement et électroniquement par un programme qui déclenche des sources complexes d'énergies, conçu pour que ces ponctuations puissent s'intensifier ou se raréfier au fur et à mesure que la polyphonie prend forme. »
EXTRAIT
Je suis un enfant comme les autres, mieux que les autres,
puisque mon père est (était) millionnaire.
Je n’ai pas tué à cause de la misère. Ni par manque de soins. Je prends un bain tous les jours : On veille à ma nourriture. Je suis un riche. Mon père a une auto. Je roule voiture. J’ai un loden, non, mieux même, plusieurs. Il y a tout chez moi. Ma mère a tout dans sa cuisine. Dans sa maison. Et moi j’ai tout. J’ai une chambre, j’ai un vélo, un appareil photo, j’ai un jardin, une balançoire, un croquet, des agrès, des pelouses, une grille et une sonnette. Tout ce que j’ai. J’en ai pour cent miyons.
Pourtant j’ai tué mon père. Ma mère a tout dans ses armoires, dans ses placards, et moi j’ai tout dans mon grenier, dans ma bibliothèque. j’ai même un revolver. Tous les livres que j’ai : j’ai même des romans policiers. Mon père a tout lui aussi dans son bureau, dans son garage, il a même un revolver, un coffre-fort, des autos, et aussi une clef anglaise. Tout ce que nous avons à nous trois. Dans ses piles de linge ma mère a un revolver.
Nous possédons. La classe possédante : c’est nous.
Nous possédions même des bougies. Et ces bougies sont même en trop.
Mon père possédait quelque chose en trop : une bougie. Il était trop riche d’une bougie.
Nous avons même ensemble, propriété commune et sans discussion nous avons une seule bonne, une bonne bonne, une bombonne, une bobonne : Rose Rose Trémière.
Pourtant j’ai tué mon père.