HERETU ET LES YEUX DE LA NUIT

Éditions L’Harmattan Jeunesse, 2005.

Aux Îles Marquises il est difficile à l’humain de tenir. Aux Marquises on peut avoir peur du lever de soleil. 
Les mangues sont grosses, les pamplemousses sont énormes, les cochons noirs et puissants comme des sangliers, le sang des poissons rouge vif sur le quai où les pêcheurs les vident, les écailles bleues des poissons perroquets glissent dans l’eau et dans le sang, bijoux de lapis lazuli dispersés dans la mer.
Le vert des palmes est plus vert que partout ailleurs, la lumière coule sur chaque feuille.
Les chevaux sauvages galopent plus haut que partout ailleurs, ils courent en bande au bord du ciel.
Les hommes sont plus forts que partout ailleurs. Ils pourraient mordre dans un barracuda sortant de l’eau. Ils mangent la force du cœur et des yeux de poissons gobés frais, arrachés d’un geste vif. 
Ils portent leur histoire à même la peau.
Ta-tu, Tiki patu, on écrit sur la peau le nom du dieu qui engendra les premiers humains.
Ta-tu, tatouer, ils creusent un sillon pour y faire couler une encre indélébile. Elle dit tout de celui qu’on tatoue. Son visage, son nom, sa famille, sa parure, tout est là. 
J’étais assise sur la marche devant la case de Fetu. Je regardais la lune et j’imaginais l’autre partie du monde. J’ai pensé à Heretu. 
J’ai vu Heretu seul, et solide.

« La nuit est debout – murmure Heretu – elle brille de haut en bas. Et si c’était son anniversaire ? Quel âge a le monde ? Moi j’ai eu sept ans hier. »
« Un soir je me suis assis sur la marche parce que rien ne brillait dans ma vie. C’était trop de noir pour moi. Les grands n’entendent rien, même quand on se tait très fort. Je pensais qu’ils m’oubliaient. Je faisais des cauchemars. Dès que je m’endormais, je tombais dans un trou. Quelqu’un se fâchait contre moi et refermait le trou pour toujours. Moi j’avais peur qu’on ne me voie plus et qu’on me laisse tout seul. 
Un soir je suis sorti et j’ai attendu. »