LE PREMIER MOT DE LA LANGUE

Ateliers d’écriture avec des enfants, Alpes de Haute-Provence et Nice, 2000/2006

Je retrouve dans mes archives ces paroles issues de dialogues à bâtons rompus par lesquels je démarrais les journées d’atelier avec les enfants dans des classes primaires des Alpes-de-Haute- Provence et de Nice au début des années 2000. À les relire, j’y entends les termes d’un manifeste poétique. Écrire commencerait là, effectivement, dans le fait de reconnaître que le premier mot fut celui donné par les parents. Ce premier mot ne fut peut-être pas le premier dit par les parents à l’enfant, peut-être fut-il celui que l’enfant retint, choisit de retenir parmi ceux qui lui furent adressés ou qui furent prononcés à son sujet. Dans un mot, quelques mots, l’enfant, à son insu, choisit de se reconnaître, il s’y entend, pour le meilleur ou pour le pire, comme ce qui compte, comme ce qui ne compte pas, comme l’attendu ou comme l’en trop. Des chaînes associatives se constituent sur la musique de ces premiers signifiants. 

Le premier mot de la langue que j’ai entendu, c’est le mot de mes parents 

D’où venait ce mot ? de quel silence, de quel regard, de quel geste, de quelle courbure du corps, de quelle distance entre les corps ? Émergeait-il d’un flux, incontrôlé incontrôlable, d’une éructation, d’un cri, d’une plainte longue, insatiable, coulait-il d’un baiser, d’une caresse ? Naissait-il d’une absence de mots, devenant le mot dont on fut privé, le mot magique ou le mot interdit, le mot dangereux, qu’on attendra des années durant et dont on ne s’autorisera pas ? J’ai rencontré de nombreux enfants dont ce mot ou l’absence de ce mot bouchait la chambre intime, la chambre où se dire, la chambre à soi de Virginia Woolf. 

JE VOUDRAIS VOIR CE QU’ON NE DIT JAMAIS
École publique Nikaia, Nice, 2004/2005

DES LIGNES BRISÉES DANS LA TÊTE
Atelier de Pratique Artistique, École publique Nikaia, Nice, 2004/2005

GRANDIR, UNE HISTOIRE D’AMOUR
Atelier de Pratique Artistique, École publique Nikaia, Nice, 2004/2005