L’YONNE RÉPUBLICAINE
13 mai 2023

RENCONTRE AVEC CLAUDINE HUNAULT, MERCREDI 17 MAI, À LA LIBRAIRIE OBLIQUES, À AUXERRE 

Invitée par la librairie auxerroise Obliques, la psychanalyste et metteure en scène Claudine Hunault présentera son ouvrage Je me petit-suicide au chocolat - À l’écoute de l’obésité mercredi 17 mai, à 19 h 30. Elle y relate dix années de consultations menées auprès de patients obèses à la clinique Paul-Picquet de Sens. Elle interviendra également à Sens, samedi 10 juin, à la librairie Calligrammes. 

Durant dix ans, vous avez écouté des patients obèses en consultation à la clinique Paul-Picquet, à Sens. Comment avez-vous intégré cette aventure ? 
Roberto Arienzo, le chirurgien responsable du centre médico-chirurgical de l’obésité à Sens m’a sollicitée fin 2012. Il était intéressé par mon expérien- ce de psychanalyste et celle en lien avec mon travail sur le corps. Je suis actrice, metteure en scène et performeuse depuis bien plus longtemps que psychanalyste. Le travail de formation que je pratique avec des acteurs, des chanteurs lyriques notamment, me questionne sur la présence du corps. Et que signifie être présent à son corps. Mon travail avec les patients est bien évidemment différent. Pour autant, la question de la présence à soi, la perception de son corps dans l’espace, celle du rapport à l’autre m’ont énormément servie dans la clinique avec les patients obèses. 

En quoi exactement ? 
Je me suis vite rendu compte que les pa- tients obèses ont une perception très tronquée de leur corps. D’ailleurs, c’est amusant de voir que quand ils perdent du poids, ils découvrent qu’ils ont des os dans les fesses, ce qu’est une clavicule. Avec la perte de poids, le corps prend une nouvelle forme, une autre forme. Pour des femmes notamment, avoir un corps qui, à un moment, reprend ses formes féminines est à la fois enthousiasmant, mais aussi déroutant et insécurisant. Certaines d’entre elles vont vivre comme un risque, voire un danger le fait de sentir le regard, celui de l’homme sur elles, et de se trouver à nouveau dans le désir, porté par le regard de l’homme. C’est pourquoi, l’obésité n’est ni une faute, ni une source de culpabilité. Il faut travailler cela pour que les patients s’émancipent de la culpabilité. J’ai rencontré beaucoup de patientes et de patients pour qui la prise de poids à un moment de leur histoire a joué un rôle déterminant. Parfois un rôle protecteur, en se dotant d’une sorte de manteau de graisse qui mettait à l’abri de possibles atteintes. 

Dans votre ouvrage, vous dîtes que l’obésité est le symptôme d’une dépendance... 
Absolument. La dépendance à la nourriture va quasiment tout le temps avec une dépendance autre. Celle à un évé- nement inacceptable, la perte d’un proche par exemple. Trente ou quarante ans plus tard, le deuil demeure inenvisageable. 

Vos patients de Sens en avaient conscience ?
Cela peut venir dans les toutes premières séances. Mais c’est de ma responsabilité de mettre en place une écoute et un appel de leur parole afin qu’ils puissent rapidement faire des as- sociations. De fait, ils arrivent à faire des liens avec des choses qui remontaient lors des séances. La patiente se souvient soudain de réflexions qu’on lui faisait quand elle était petite. 

Vous soulignez en effet que les mots font grossir, que le poids est la conséquence d’une organisation du sujet à partir de récits censés le structurer...
Beaucoup de patients me disent qu’on leur disait qu’ils étaient gros quand ils étaient petits. Or, quand ils regardent les photos, ils découvrent qu’ils ne l’étaient pas, mais peut- être que les parents avaient peur qu’ils le soient. Au fond, le patient est devenu gros pour leur donner raison. Évidemment, ce n’est pas conscient. Mais les phrases qui ont pu être dites, y compris sur le physique, jouent. Or, l’on peut très bien se protéger de la parole de l’autre, là encore en enrobant son corps. Beaucoup d’autres paroles peuvent faire grossir type « Tu es nul, tu n’y arriveras jamais ». Cela peut conduire l’enfant à considérer qu’il n’a pas de place. À ce moment-là, la place peut se prendre dans le corps. Dans l’obésité, la question de la place est prépondérante. Qu’il s’agisse d’un manque ou d’un trop-plein ? Bien sûr. D’ailleurs, dans un des portraits du livre, je fais dire à l’un des pa- tients : « Je ne sais pas si j’ai trop ou pas assez ». 

L’obésité est tout à la fois une souffrance physique et psychique ? 
Il peut y avoir notamment dans le mouvement féministe, une ten- dance à valoriser le corps tel qu’il est. Les femmes peuvent très bien se trouver très belles dans leur poids notamment des femmes ar- tistes, des chanteuses lyriques. La voix vient presque valider ce corps-là. Toutefois, il faut reconnaître que ce n’est pas une majorité des cas. Souvent, je disais aux patients que la question n’était pas nécessairement de maigrir mais de savoir s’ils subissaient leur excès de poids ou s’ils habitaient leur corps sans difficultés. Si le poids est subi, il s’agit de s’émanciper de toutes les dépen dances qui s’y rattachent. Sans compter l’aspect physiologique, les pathologies comme l’hypertension... C’est à ce moment-là que l’obésité devient un enjeu de santé pu- blique avec toutes les maladies qu’elle induit... Les articulations qui se bloquent, les chevilles qui n’en peuvent plus de porter un tel poids, le bassin fragilisé... Quand je voyais les patients, ils venaient parce qu’ils ne pouvaient pas continuer plus loin. 

Ce qui ressort des différents témoignages même si vous expliquez les avoir mêlés, entremêlés, recréés, c’est que l’obésité est un marqueur social ? 
Si on regarde bien, moi qui suis dans le centre de Paris, je ne vois pas de patients comme j’ai eu en consultation à la clinique Paul-Picquet, à Sens. L’obésité massive et morbide, on la rencontre rarement dans les centres-villes de métropoles, mais davantage dans les banlieues, les zones suburbaines et en province. Mais il y a eu un changement. Les cinq-six premières années, les quatre cinquièmes des patients étaient issus de milieux socioculturels défavorisés. Et puis un bouche-à-oreille est intervenu par rapport à la qualité des chirurgiens et de l’accompagnement psy notamment, on a vu arriver des couches moyennes, des gens des catégories supérieures qui souvent étaient dans des positions publiques. Ce qui les amenait à un moment donné à se poser la question du poids, y compris chez les hommes, et de l’image qu’ils donnaient. Mais je dirais que dans notre société, ce qui est terrible, c’est cette sorte de double peine des gens en situation défavorisée : ils vont acheter les produits les moins chers, qui s’avèrent être les plus nocifs pour la santé. Ils sont des proies de choix pour cette société d’hyperconsommation. 

Pourquoi avoir choisi de faire un livre de ces dix années de consultations ? 
Si je n’avais pas fait cette consultation pendant dix ans, je n’aurais pas connu d’aussi près toute cette partie de la population. Par ailleurs, ces milliers de notes, toutes ces paroles, j’ai eu envie, je me suis sentie la respon- sabilité de les transmettre. Beaucoup de lecteurs, éloignés de la question de l’obésité, me disent qu’ils n’auraient jamais imaginé que c’était aussi complexe. 

Votre livre est un bel objet. La mise en pages est inventive. Il y a des textes, des poèmes. C’était important pour vous de proposer un objet un peu singulier ? 
C’est au tour de l’écrivaine de prendre la parole. Cet essai, d’une forme très particulière, je ne pouvais l’envi- sager que s’il était un acte de création littéraire. Mais cela est vrai pour toutes mes publications. La dimension poétique de la parole permet de toucher de beaucoup plus près la complexité des choses. Contrairement à ce que l’on pourrait penser de la poésie, qui véhicule une sorte de frivolité, de gratuité, pour moi et beaucoup d’autres, la poésie permet, dans l’exigence qu’elle a, de toucher au plus près du réel. Cela m’a demandé un gros travail sur la forme. J’ai mis presque deux ans à la trouver. Je ne voulais pas avoir la position de la psychanalyste en surplomb de la parole des pa- tients. Je ne voulais pas être celle qui expliquait tel ou tel cas. J’ai essayé différentes formes et j’ai choisi d’inventer ces portraits fictionnés, écrits avec tellement de phrases entendues. Quant aux poèmes, aux listes de questions ou de patients décrits en deux li- gnes, tous se sont imposés. J’ai assumé de les mettre à côté d’un chapitre théorique.