NOTICE SUR LE TRÈS-HAUT

Dictionnaire Maurice Blanchot, Flammarion, 2023.

Le Très-Haut est le troisième et dernier roman que Maurice Blanchot publie en 1948. La même année Blanchot publie le premier de huit récits, L’arrêt de mort, et en 1949 dans le deuxième numéro de la revue mensuelle littéraire Empédocle, Un récit qui sera réédité en 1973 sous le titre La Folie du jour aux éditons Fata Morgana. Cette proximité de publication met en perspective les trois textes, La Folie du jour pourrait être lue comme l’épure ultime du Très-Haut.

Nous sommes en 1947 lorsque Blanchot achève la rédaction du Très-Haut et l’histoire récente disperse encore le présent : « tous les événements de toute l’histoire sont là autour de nous, exactement comme des morts. Depuis le fin fond des temps, ils refluent sur aujourd’hui ; ils ont existé, certes, mais pas complètement » (88). L’inachèvement et la répétition oeuvrent tout au long du roman jusqu’au point d’orgue de la prise de parole finale du protagoniste et narrateur Henri Sorge. En 1947 Camus a publié La Peste, Malaparte publiera en 1949 La Peau dont le titre initial devait aussi être La Peste.

L’épidémie est au cœur du Très-Haut. Elle acquiert le statut d’un personnage doté d’une dynamique et d’une détermination. Elle se répand sur la ville. Elle est le lieu d’une insurrection jamais définie dans ses buts comme dans ses acteurs. La ville, désignée par ses points cardinaux et qu’une rue de L’Ouest indiquerait peut-être comme étant Paris, se vide de ses fonctions vitales pour se transformer en une succession de dispensaires installés dans les immeubles, dans les appartements comme autant de postes de surveillance et de contention. Sorge, qui signifie souci en allemand, un homme pour lequel on s’inquiète, est un jeune fonctionnaire employé à l’état civil de l’Hôtel de Ville. Il relève de maladie, il s’est absenté de la vie commune, de son travail, de son immeuble. Son voisin Dorte est « en pleine transformation sous l’influence de la maladie» (106). De chambre à chambre, ça communique par petits coups frappés sur les cloisons, comme de cellule à cellule. Dans cette actualité, Sorge trouve son pôle opposé, Bouxx, voisin de palier et qui se révèle être chef de l’insurrection. Entre eux un rapport de nécessité se tisse, rapport au sens propre de ce que chacun en retire, autour de l’enjeu brûlant qui leur est commun, la loi : L’un et l’autre sont habités par l’obsession d’être concernés et guettés par la loi.

Le chaos gagne du terrain jusqu’à un point qui semble être pour Sorge à la fois accalmie et bord de l’abîme. Jeanne l’emmène dans le « Pavillon pour isolés » (230) où il entre de plain- pied, la précision répétée est importante, c’est peut-être la part d’accalmie. Sorge est nommé par Jeanne et reconnu, dit-elle, comme « Le Très Haut ». Il essaie de rejoindre, avec son corps, dans son corps, ce vers quoi le nom du « Très Haut » l’appelle. Sorge est atteint d’une de ces crises d’épilepsie qui ponctuent le récit. Le livre s’arrête brutalement sur un coup de feu tiré par l’infirmière. L’événement ultime est la profération de Sorge :

« – Maintenant, c’est maintenant que je parle ».
La peste offre à l’épidémie son modèle fabuleux, malades enragés se précipitant dans les rues, mordant des passants. Y a-t-il une épidémie ? Non, dit Sorge à Dorte, « c’est une mise en scène (...) un plan pour justifier certaines mesures administratives » (111). L’épidémie relève- t-elle d’une mise hors la loi, comme l’affirme Dorte ? « Suis-je réellement malade ? Je ne le nie pas. Je ne l’affirme pas. C’est secret. Mais je suis suspect. (...) Et il y a ici des milliers de suspects, des gens contre lesquels l’Etat se protège par des barrages, des coups de force, qui lui échappent » (112). Après avoir subi les violences de la police, Sorge pose la question à sa soeur, « que sais-tu de cette épidémie ? » (118), elle élude la question, il la pose au beau-père, c’est-à-dire à l’Etat : « Ces racontars (...) ce n’est pas sérieux » (119). Sorge : « Il n’y a pas d’épidémie ! Il n’y a donc pas de désordre, pas de grève, pas d’incendie. Il n’y a pas d’agitation, je suppose ? » (121)

A la décomposition des corps à grande échelle répondent les moisissures domestiques. La famille de Sorge s’organise autour d’une absence, celle du père, « un homme de devoir, certes », mort depuis longtemps, dont le portrait dans un cadre de granit en fait « une véritable icône », mausolée miniature gardé farouchement par la sœur. Il y a un beau-père, figure haïe, un fragment du corps des autorités qui a pouvoir d’obtenir faveurs, dispenses ou promotions pour celui qu’il aliène.

La mère, « une personne monumentale, qui pouvait m’entraîner à des choses absolument folles » (11) complice de la terre et des temps anciens, prononce des paroles que Clytemnestre aurait pu proférer : « Je n’ai été votre mère que pour être blessée, offensée. Vous m’avez fait honte, voilà la vérité (...) Mais vous en serez punis, je le sens, nous serons tous punis ensemble » (62).

Louise est la sœur en robe rouge, rouge sombre et violent, ou robe noire, élimée, noir sale, tache informe qui l’habille et l’imbibe, elle entraîne Sorge dans le tombeau vide du père pour un corps-à-corps où Eros n’arrive pas, pas encore. Louise disant les mots d’une Electre : « Et maintenant, je l’ai juré : là où il y a eu une mort injuste, il va y avoir une mort juste ; là où le sang s’est fait crime dans l’iniquité, le sang va se faire crime dans le châtiment ; et le meilleur devient ténèbres pour que le jour manque au pire » (74).

Les femmes convoquent Sorge en colloques singuliers qui scandent cet insolite chemin de la passion tout au long du Très-Haut.
Marie la photographe, une figure aux bords nets et délimités comme les cadres qu’elle met en vitrine. Elle fait des photos d’identité et chaque jour prouve la véracité de la correspondance d’un visage avec un nom et une origine, tout comme Sorge à l’Etat civil. Une étreinte soudaine, violente a lieu dans l’arrière-boutique : « Jusqu’à présent, chose bizarre à dire, nous avions eu le même corps, un véritable corps commun, impalpable et clair. (...) C’est alors qu’elle se transforma : je le jure, elle devint autre. Et moi-même je devins un autre. (...) Avec une rapidité bouleversante, ce corps se cassa en deux, se résorba et à sa place se forma une épaisseur brûlante, une étrangeté moite et avide, qui ne pouvait rien voir et rien reconnaître » (44). Est-ce à ce moment, Eros qui arrive et vient jouer sa partition ? Avec ce qu’il implique comme perte d’identité.

Jeanne Galgat, l’infirmière, gros souliers de cuir, homme femme marchant ensemble, peau froide, dure, « aussi rigide qu’une statue (...) l’expression orgueilleuse d’une femme adossée au tombeau » (195). Eros viendra entre Jeanne et Sorge comme un viol réciproque : « Cette lutte, barbare et comme indifférente à son enjeu, semblait la prise à partie de deux êtres qui ignorent ce qu’ils veulent et se mesurent parce qu’il le faut » (195). L’eau coule de Sorge à Louise et à Jeanne : « Une eau de mort » coule du corps de Sorge dans le face à face avec sa sœur qui écume en parlant, « une eau noire et épaisse coule goutte à goutte » du corps de Jeanne, et précise Sorge, « une eau semblable à celle qui une fois déjà s’était infiltrée à travers les murs » (216).

La mutation de Sorge a un cadre : une maladie qui ne relève pas de l’épidémie ; elle l’en distingue. Il serait atteint du haut mal, comme on évoquait jadis, pour ne pas la nommer, l’épilepsie. Que le haut mal prenne place dans Le Très-Haut situe la maladie dans les régions du sacré et de la faute. La maladie travaille au-delà des symptômes physiques qui la désignent. La perception folle à laquelle accède Sorge discrédite une réalité dont il acceptait jusque là les représentations normées et totalisantes. Cet accès est coupable et on se charge bien de le lui faire savoir, en particulier les figures masculines : l’officier de police, le beau- père, le voisin de table, Bouxx, Roste jeune médecin, tous sauf Dorte à qui la mort prochaine offre une lucidité effroyable et un regard enfin calme échangé avec Sorge.

L’hyperactivité cérébrale qui prédispose au mal sacré, donne forme à la dynamique de Sorge, qui, de la certification de soi comme représentant permanent de la loi et de son identification à l’Etat, avance vers la dissection radicale de son identité au point d’y éprouver la possibilité d’un devenir animal : affaissé sur les ordures qu’il vient de balayer, il entend un sursaut, le mouvement d’un crapaud ? « Non, quelque chose de beaucoup moins vrai, (...) une tentative faite à la hâte par un organe solitaire (...) mon cœur se mit à répéter cela (...) chacun de ses battements faisait entendre le bruit louche du cœur d’un autre » (232). Plus tard un glissement se fait de Sorgue dans le corps d’un insecte en fuite aveugle sur le mur. Sorge et l’insecte sont reliés par une même menace qui passe alternativement dans le corps de l’un et de l’autre, au point que la vibration des ailes de l’un provoque un vertige chez l’autre.

Sorge est arrivé dans ce « Pavillon pour isolés » qui attend d’être rempli par lui, sorte de devoir dont il se sent en charge. Là a lieu un affrontement avec l’ombre, « et, Dieu, cette ombre bougeait » (236). Blanchot ne lève pas l’ambigüité à laquelle la lecture accroche. Dieu n’est suivi d’aucun point d’exclamation. Est-il présent, dans l’ombre ? Dieu, seul ? Sorge y plonge, dans cette ombre. Peut-être est-ce lui qui portant la lampe et la déplaçant, crée l’ombre, Sorge Porteur de lumière... Un ébranlement terrifiant se produit, convoquant tous les sens et soudain, la lampe remise en place, le silence, « un silence vide et étonné (...) Il ne s’était rien passé. Je ne pus le supporter » (236). L’affrontement reprend avec un regard surgi de la matière, regard vide. Au terme de la scène Sorge se découvre seul « sans personne pour (le) retenir, pas un ordre, pas une pensée, pas un obstacle » (238). Sorge atteint le champ du désarroi absolu où l’angoisse est déjà une protection : « Dans le rapport de moi à autrui, Autrui est ce que je ne puis atteindre, le Séparé, le Très-Haut, ce qui échappe à mon pouvoir et ainsi le sans-pouvoir, l’étranger et le démuni » écrit Blanchot dans L’Ecriture du désastre, (36). L’accès à ce désarroi conscient, à ce sans-pouvoir d’où naîtrait une parole porteuse d’un dire effectif, est passé par une maladie. La fièvre sait.

C’est un récit très physique, très organique même : le corps est un théâtre d’opérations d’où jaillit un flux quasi ininterrompu de signes. Le corps, en particulier celui de Sorge, et celui des femmes qui le rencontrent, est un espace fluctuant, parfois précisément dessiné, parfois distendu jusqu’à se fondre dans ce qui n’est pas lui, espace de perception, espace de percussion, livré en grand combat aux intrusions du réel. La peau n’est plus une frontière déterminante d’un dedans et d’un dehors, elle peut être isolée, agir par elle-même, n’être surface de rien, il y a des mouvements d’invagination et des mouvements de retournement. Sorge vit une expérience inédite – lui est-elle imposée par la maladie ? – à laquelle il se livre avec autant de curiosité que d’effroi : il connaît une rupture sur le versant de la réalité, rupture qui est connexion sur le versant du réel, rupture/connexion qui le déloge et le déplace sans arrêt. Cet homme qui transportait en tous lieux la loi avec lui, éprouve soudain une autre loi qui se tient sous le sceau du fantasme. Le fantasme est à la fois la forme et le contenu d’une situation où l’effet de réel éprouvé ne vient que de fragments de perception, non d’une polarisation vers la Chose. Le réel n’est pas ici une zone vers laquelle Sorge serait aimanté dans une sorte de quête ontologique. Sorge est lui-même le lieu d’une perception diffractée en une multitude d’objets avec lesquels il tente inlassablement de fusionner : « — Toutes ces choses ! Elles vous ressemblent ! On dirait qu’elles sont satisfaites, parce que vous les regardez (...) Pouah ! Quel monde ! » crie Jeanne (227). Dans cette tension l’objet est investi au point de laisser espérer qu’il recèle de l’être, une réserve d’être et d’enthousiasme. La saisie en est bien sûr impossible et le ratage se répète d’objet en objet. Une lecture du Très- Haut pourrait se faire sur un fil rouge passant de la carte d’identité de Sorge à la tache sur le mur, sur les corps, sur un chiffon, sur la robe de Louise, en passant par le bol de café tendu par Jeanne, balancement vertigineux entre Sorge et les objets. C’est une poussée qu’il ne peut fuir parce qu’elle lui est interne. Il semble que sous son effet, Sorge vienne au contact de forces mythiques, formidables dans leur imprécision, avec lesquelles nous avons intimement à débattre. Ce qui se produit dans la fiction, œuvre en amont dans le projet littéraire de Blanchot, il expose son écriture à cette poussée et à ce vertige. Le texte échappe au regard qui voudrait le rabattre et le clore. Comme s’il réservait en ses flancs un dire infini dissuadant la lecture tout en s’offrant à elle sans retenue.
Le fantasme s’accroche sur du concret et se déploie à partir de lui, une jambe nue, un morceau de peau, le reflet glacé d’une photographie, un insecte affolé sur un mur... Tout ce que le regard peut découper sur le corps ou prélever dans l’espace est susceptible d’être momentanément objet absolu.

Objets acteurs exhalant à leur contact ou dans leur proximité une menace : leur autonomie est inquiétante et les parties du corps participent de cet étrange dérèglement. Dans le séisme final, Sorge entend tout contre lui sa propre respiration, son hurlement lui échappe « dans un autre monde » (233), ses pieds l’entraînent à travers la chambre, « passant et tournant lentement autour des objets » (235). Quand Blanchot écrit : « Mes mains se rabattirent et tapèrent dans le vide » ou « mes doigts devinrent fous » (237) ou la chambre « s’était comme retirée et attendait un peu en arrière » (232), il s’agit de le lire au plus près de la lettre. Faire de Sorge un schizophrène et lire Le Très-Haut à partir d’un diagnostic serait une impasse. Si Sorge interroge les signifiants dans les premières scènes et notamment à la lecture d’un fait divers, provoquant l’irritation de son voisin de table au restaurant (12, 13), nous dépassons peu à peu le rapport du mot à la chose, leur écart ou leur substitution réciproque, et nous sommes happés par une béance qui passe par eux, mot et chose, mais pour les congédier aussitôt. Ce qui se profile alors relève de ce que Blanchot élaborera comme le neutre. La formulation en est déjà là. Sorge est avec son corps, le percevant comme une présence décollée de lui, « si près que c’en était à perdre le sens » : « Il se fit une traînée, un remous vague qui se rassemblait de tous les points de l’immensité et en un instant, atteignant une force insensée, s’éleva un saut répugnant, le saut de quelque chose de matériel, figé dans son existence immobile » (236). « Il se fit » est un en dehors de Sorge qui assiste à un événement dont il participe et dont il est exclu, et ceci dans un espace qui s’étend hors des lois de la contradiction.

L’espace et le temps ne sont plus contenus et débordent les frontières que la Logique a pouvoir de leur attribuer : le passé ne se tient plus en dehors du présent, il contamine la terre, remontant en elle, « aussi noire que si, du fond de la terre, une couche avait affleuré à ras du sol, avec l’aspect éteint d’une terre entièrement fossilisée, où les choses ne pouvaient même plus pourrir mais se conservaient éternellement comme choses éternellement disparues. » (59) Affrontant le regard de sa sœur Louise, Sorge tremble « non seulement dans le présent, mais dans le passé et peut-être uniquement dans le passé » (55). L’espace devient plastique susceptible de se creuser, de se soulever, ôtant aux lieux leur stabilité et leur fonction. Dans une des dernières scènes (236), Sorge voit « le lit se soulever, la masse des choses qui l’entouraient et même l’obscurité basculer sous une pression géante, aveugle (...) cette pression grandir, se développer avec une puissance bestiale contre les choses dont elle ignorait tout. » Blanchot donne à cette scène d’intérieur, dans la chambre, une dimension quasi cosmique, une énergie du vide venant bousculer l’ordonnancement des actes et des choses et faisant chavirer les perceptions.

Le Très-Haut est traversé de son ouverture à sa clôture par ce qui heurte et divise. Dès les premières lignes, une fracture est ouverte qui va opérer jusqu’au dénouement. Cette scène inaugurale à partir de laquelle toutes les autres vont s’enchâsser selon une certaine loi, pose un acte sidérant qui détache le protagoniste de ses semblables alors même qu’il affirme son appartenance à l’espèce :

Un coup de poing est porté à Sorge par un individu qu’il a heurté dans l’escalier du métro. Attroupement, arrivée des agents, conduite au commissariat, tous les éléments sont réunis pour que la scène se déroule selon une logique imparable et rassurante : il y a eu agression, la police intervient pour séparer les protagonistes, protéger la victime, enregistrer sa plainte. Mais, contre toute attente, Sorge ne répond pas à la question du commissaire : « Portez-vous plainte ? ». Il s’approche de son agresseur et l’interroge sur sa vie. Est-il marié ? A-t-il des enfants ? Sorge précise : « Quand vous m’avez frappé, vous avez senti que vous deviez le faire, c’était un devoir : je vous défiais. Maintenant, vous le regrettez, parce que vous savez que je suis un homme comme vous» (9). Ce semblable que nomme Sorge est une insupportable atteinte à l’identification de chacun à une catégorie spécifique, l’attaquant d’une part et la victime d’autre part. Quelque chose est alors inaudible, qui obligerait la loi à se retourner sur elle-même et envisager la totalité de l’espèce. La découverte de Sorge est d’ordre éthique et c’est dans un espace éthique que nous sommes d’emblée conduits, cet espace va s’affirmer en frottement avec la loi et se faufiler en dessous du filet de la fiction. Une disjonction s’est produite et les scènes suivantes marquent l’écart que creuse Sorge avec sa famille, avec l’Etat, avec l’espace social qui bientôt se confond avec l’épidémie. L’épidémie est un motif où se tressent dans une jouissance troublante et un assujettissement réciproque :

- Le pouvoir qui avance dans le déni et dans une injonction à une saine normalité, comme s’il était « la partie vivante, laborieuse (...) la santé » de chaque individu. Le déni suppose des décisions drastiques, contention et contrôle, effacement des traces (abattage, incendies).
- L’insurrection qui se saisit du désordre des corps pour appeler les formes latentes de révolte et leur donner une existence à travers une organisation qui se vit dans un combat à égalité avec l’Etat et, par le déchaînement de la violence, appelle la loi à se manifester.

Le Très-Haut parle pour des temps qui excèdent de loin l’après-guerre. Sa lucidité est impitoyable sur ce tressage entre le pouvoir et ce qui le combat. De quoi l’insurrection aurait- elle à s’émanciper – de son propre objet ? – pour accepter que l’action ait des conséquences et notamment une sortie possible de la servitude, ce dont Bouxx doute fort.

Ce que Blanchot nomme « la fatalité politique » appelle encore une analyse critique pour comprendre le ficelage irrésistible entre un individu et les figures du pouvoir. Sortir de ce ficelage exige un écart radical d’avec cette sphère où mensonge et vérité se couchent le long d’une bande de Moebius, cela exige de répondre en son nom et au nom de l’espèce d’une vérité inaudible : « Je suis un piège pour vous. J’aurai beau tout vous dire ; plus je serai loyal, plus je vous tromperai : c’est ma franchise qui vous attrapera. » Paroles que Blanchot place en épigraphe au roman.

Le Très-Haut indiquerait ce vers quoi tend le geste de Blanchot : Ecrire en direction de cet Autrui, écrire cet Autrui dans son échappée même.

Claudine Hunault

« Biblio »
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Blanchot Maurice, L’Espace littéraire, Gallimard, 1955.
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Fédida Pierre, Humain/déshumain, séminaire 2001-2002, puf, (coll. « Petite Bibliothèque de Psychanalyse »), 2007.
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